vendredi 26 mars 2010

sur les chemins de Baekdusan 2 백두산이야기

II/ Baekdusan comme paysage

Sans connaître l'histoire et l'importance de Baekdusan pour les Coréens, le premier jugement qui se fait sur une montagne est souvent d'ordre esthétique. La simple interjection: « regarde, c'est beau! », comme le souligne l'équipe MIT (2002), témoigne d'une transmission de valeurs esthétiques d'un groupe, de « l'inter-subjectivité d'une certaine communauté », d'un « voir-comme »(A.Berque, 1996). Observer et apprécier un espace naturel relève là encore d'un rapport sensible de l'homme à son environnement, rapport profondément ancré dans l'identité culturelle du groupe, construit par un certain nombre de représentations.

A. Théorie du paysage

La théorie du paysage, amorcée par Alain Roger dans les années 80, s'attache à définir une des facettes de l'ensemble des représentations du territoire. Elle prend pour premier postulat que « le paysage, à la différence de l'environnement physique, n'a pas toujours existé »(A.Berque, 1996): il est le fait de la société, et plus précisément de certaines sociétés dites de « culture paysagère » qui répondent à quatre conditions énoncées par A. Berque (1995). Cette théorie suppose donc une dualité de l'espace: une réalité physique, objective, et une réalité sensible, subjective. L'étude paysagère consiste par conséquent à prendre la mesure des deux dimensions de l'espace. Le paysage est à la fois « écologique et symbolique » (A. Berque, 1995). La culture chinoise avec celles de ses pays voisins (Corée, Japon), toujours selon Berque, sont les premières cultures paysagères à apparaître, elles ont développé un rapport avec l'espace naturel différent de celui du monde occidental. Cette théorie du paysage nous intéresse donc particulièrement puisqu'elle nous permet d'avoir une nouvelle approche de l'espace Baekdusan selon les représentations que peuvent s'en faire les Coréens.


B. Le paysage « à la chinoise »: la montagne comme motif principal.

Considérer Baekdusan comme un paysage, c'est avant tout la considérer d'un point de vue artistique: Alain Roger (1994, sous la direction d'A.Berque) introduit en effet la notion d' « artialisation »pour signifier que tout paysage est un produit de l'art. Mais alors que la culture paysagère occidentale débute avec la représentation d'un paysage par l'art pictural, la culture paysagère « à la chinoise » crée tout un imaginaire autour du paysage par la littérature: le fond a précédé la forme. La représentation d'une montagne en peinture prendra sa valeur non pas de sa qualité esthétique, mais de l'intention, de l'imaginaire qu'elle a pu recréer, d'où l'importance des espaces vides dans les peintures traditionnelles coréennes. Une montagne, des sommets, restent de l'ordre du sacré, du dissimulé, c'est pourquoi les montagnes sont les demeures des sages et des esprits divins, c'est pourquoi la naissance de Tan'gun, fondateur mythique du peuple coréen, a été située sur une montagne. Une dernière anecdote nous montre l'importance de l'imaginaire dans la constitution d'un paysage: à la légende de Tan'gun vient en effet s'ajouter celle d'un monstre marin, qui vivrait dans les eaux glaciales du lac céleste, situé au centre de la montagne. Connaître le sens d'un paysage tel qu'une montagne dans l'imaginaire coréen nous permettra donc peut-être de comprendre certaines pratiques: gravir une montagne tiendra de l'ordre esthétique d'une appréciation d'un beau paysage, autant que de l'ordre d'un parcours spirituel. La dimension collective du paysage va aussi déterminer un certain nombre de pratiques: ce paysage « empreint de sociabilité » (Berque, 1995) se fête, c'est pourquoi nous avons pu remarquer que les randonnées en montagne en Corée ne relevaient pas comme elles pouvaient l'être pour nous d'actes attentifs au silence et à la beauté de la montagne. Le paysage se célèbre et l'alcool est bien souvent présent à la fête.
Il sera donc intéressant de voir sur le terrain comment la liesse générale d'une randonnée en montagne se mariera à l'émotion d'un haut-lieu symbole de réunification.
Pour citer cet article ou me contacter:
lilinari1979@yahoo.fr

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